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22 janvier 2023

2023 - L'abbé Pierre Gaudray, un homme de Dieu




Il y a dix ans, le 28 janvier 2013, le cher abbé Gaudray était rappelé à Dieu, à l'âge de 91 ans, dont près de vingt-cinq passés au service des séminaristes, en tant que professeur et surtout en tant que directeur spirituel. Tous les prêtres issus du séminaire de Wigratzbad ont été marqués et influencés par sa foi solide, sa bonhomie, sa simplicité, et son sens du devoir. 


En octobre 2012, une leucémie avait été diagnostiquée, qui évolua en cancer de la moelle épinière et des os. Après quelques semaines à l’hôpital, l’abbé revint au séminaire pour mourir paisiblement dans sa chambre, à l’heure du dîner, assisté de l’abbé du Faÿ et d’un séminariste. 

L’abbé Gaudray aurait eu cent ans en 2022. Né le 5 janvier 1922 au Havre, c’était un pur Normand, destiné selon toute vraisemblance à passer toute sa vie dans sa région natale. Il avait perçu les premiers signes de la vocation sacerdotale un peu avant sa première communion, faite à onze ans. Un jour, dans la rue, cette pensée lui vint : « Tu seras prêtre ». Dès lors il n’en douta plus, éprouvant « un désir aussi soudain que définitif ». Il n’eut jamais que deux très brèves hésitations, pendant son service militaire, d’abord quand il apprit l’intérêt que lui portait une jeune fille, et ensuite, et surtout, quand on lui proposa de rejoindre l’Armée de l’air. 

Il entra au petit séminaire à l’âge de douze ans. Puis, tout naturellement, il poursuivit au grand séminaire, commençant sa formation à vingt ans, en 1942. Les conditions étaient spartiates : pas de chambre individuelle, mais des dortoirs de quinze lits ; pas de douches, mais des brocs d’eau froide ; jamais de vin aux repas… La liturgie était monotone, la messe étant chaque jour célébrée à voix basse par le recteur. 

Tout en haut à gauche


La formation académique durait cinq ans. Il n’y avait pas d’année de propédeutique, et l’abbé Gaudray regrettait de ne pas avoir reçu de vraie formation spirituelle. Après un an de philosophie, les études théologiques étaient réparties sur quatre ans. Il n’y avait pas de cours d’introduction à l’Ecriture sainte, et le cours de liturgie ne concernait que sa pratique, par l’apprentissage des rubriques. Sans être intellectuel, l’abbé Gaudray se montrait particulièrement doué pour les langues. Il appréciait la bonne ambiance du séminaire, mais regrettait la distance séparant les prêtres et les séminaristes. Le séminaire manquait de vraie fraternité, et le niveau des études était faible. La guerre faisait rage, avec toutes les privations que cela peut entraîner. On avait faim, froid, peur. L’anxiété était constante, et on comprend que le climat n’était pas favorable à l’étude. 

Son temps de séminaire fut interrompu par le STO (Service du travail obligatoire), de juillet 1943 à mai 1944. D’abord angoissante, cette épreuve se révéla pleine de leçons spirituelles et providentielles. Envoyé à Siegen (à quatre-vingt-dix kilomètres à l’est de Cologne), le jeune Français participa à la fabrication de bombes pour le front russe, travaillant durement, douze heures par jour, avec un seul vrai repas quotidien. C’était éprouvant, mais il en gardait un bon souvenir. L’expérience forma son caractère, et lui apprit quelque chose de profond : il constata que dans l’humanité, il y a des bons et des mauvais partout. Les Allemands pouvaient être des nazis convaincus, comme son chef d’atelier, mais aussi de fervents chrétiens, comme le curé de la paroisse. Un matin, le prisonnier français reçut la sainte communion agenouillé à côté d’un soldat en permission, donc un « ennemi ». Ce fut une grâce dont il parlait souvent : nous pouvons être tous frères dans le Christ. Ainsi, parti de France germanophobe, le jeune séminariste revint d’Allemagne germanophile, et se montra dès lors résolument attaché à l’amitié franco-allemande. 


En Allemagne en 1943

En octobre 1944, il était de retour au séminaire, mais il dut le quitter encore en juillet 1945, cette fois pour six mois de service militaire. Finalement il fut ordonné prêtre, à Rouen, le 29 juin 1948. 

D’abord très heureux comme vicaire dans la petite ville d’Yvetot, il fut nommé à la campagne en 1964, comme curé de Mesnières-en-Bray, mais l’expérience s’avéra désastreuse. Tout semblait conspirer contre lui, et il entra dans une pénible dépression nerveuse, causée par le surmenage, mais aussi par le progressisme échevelé de cette époque, qui semblait rejeter tout ce à quoi il était attaché. Trop classique et conservateur, il se retrouva isolé et méprisé. Redevenu vicaire au Havre, puis aumônier dans un lycée, il finit par se réfugier en Allemagne, accueilli par un ami scout. 

Dans ces temps troublés, le scoutisme fut pour lui une planche de salut, et sa grande consolation, en même temps que l’occasion de rayonner par son zèle apostolique. Il découvrit les scouts d’Europe. En 1979, il fut pour la première fois l’aumônier du camp des patrouilles libres. 

Finalement, en 1988, avec la permission de son évêque, il se décida à rejoindre le P. Hönisch, fondateur d’une congrégation de spiritualité jésuite et scoute, installée en Bavière, dans le sud de l’Allemagne. C’est là qu’en septembre 1990, l’abbé Gabriel Baumann, supérieur du séminaire de Wigratzbad, vint lui rendre visite. Ce jeune recteur avait 37 ans, et la moyenne d’âge des formateurs du séminaire était aussi très jeune. C’est pourquoi il était en recherche de « cheveux blancs », pour apporter aux séminaristes le trésor de la sagesse et de l’expérience. A partir de 1990, l’abbé Gaudray se mit donc à venir chaque semaine passer deux jours au séminaire. Il vivait ordinairement à Mussenhausen, à quatre-vingts kilomètres environ, mais le P. Hönisch devait déménager sa communauté qui grandissait. Il fallait donc faire un choix, et, Dieu merci, l’abbé Gaudray décida de s’installer définitivement à Wigratzbad. 

Il avait soixante-dix ans en 1990. Désormais, et contre toute attente, il allait se consacrer à la direction spirituelle de séminaristes en Allemagne, dans un séminaire franco-allemand, participant à la vie quotidienne et donnant même quelques cours. Il ne cessait de s’en étonner, invitant les séminaristes à ne pas faire de « plan de carrière » : « si on m’avait dit au séminaire, qu’un jour je donnerais des cours dans un grand séminaire en Allemagne, j’aurais éclaté de rire ! »


Messe des soixante ans de sacerdoce (avec l'abbé J. Berg, 2008)


Il était ainsi devenu un vivant exemple d’abandon confiant à la divine Providence, et à la protection de Notre Dame, et donc un précieux trésor pour la formation des futurs prêtres. 

Toujours très simple et cordial, il touchait tous les cœurs par sa bonté. Mais, bien loin de toute mièvrerie, il savait aussi se montrer ferme. Formé à la dure, il était volontaire et persévérant, et n’appréciait guère la mollesse et les pleurnichards. Un peu surpris par la fragilité des nouvelles générations, il trouvait parfois la jeunesse aboulique, ou paresseuse. Mais il ne faisait la morale à personne, prêchant seulement par l’exemple de son sens du devoir. Toujours à l’office, et toujours en avance, il était trapu et solide comme le roc. Très pieux, très marial, c’était un homme de Dieu, et l’incarnation des valeurs scoutes : franchise, dévouement, pureté. 

Dix ans après sa mort, nous rendons grâce à Dieu pour ce modèle de fidélité sacerdotale, en méditant ce conseil souvent répété : « Comment être fidèle au sacerdoce toute sa vie ? Dites le chapelet tous les jours. J’ai constaté que tous les prêtres qui priaient le chapelet chaque jour ont été fidèles ».




On peut lire les souvenirs et conseils de l’abbé Gaudray dans un petit livre de 85 pages, disponible auprès du secrétariat de notre district de France (10 €, cliquer sur l'image) :



Nous vous recommandons aussi le témoignage de l’abbé Thierry Blot : Fidélité et charité d'un prêtre.

Requiescat in pace !