16 novembre 2013

Peinture allemande et spiritualité chrétienne

Le séminaire de Wigratzbad se trouve à un peu moins de deux heures de voiture de Münich, l’opulente capitale de la Bavière. La ville est culturellement très riche, avec notamment une collection de tableaux mondialement connue, l’Alte Pinakothek, qui offre un panorama remarquable de la peinture européenne du XIIIe au XVIIIe siècle. 
Moins prestigieuse, plus discrète, la Neue Pinakothek qui lui fait face ne manque pas non plus d’intérêt, en poursuivant le parcours de Gainsborough à Van Gogh et Gauguin, tout en privilégiant la peinture allemande du XIXe siècle.
Elle permet de découvrir notamment le meilleur représentant du romantisme germanique, si typique, même s’il a vécu surtout dans le nord de l’Allemagne (à Dresde essentiellement) où se trouve la majorité de ses œuvres. Il s’agit de Caspar David Friedrich (1774-1840), un peintre qui estimait qu’« une véritable œuvre d’art ne peut sortir que d’une âme pure ».

Matin dans le Riesenbirge, 1810

Montagnes farouches et mers de nuage, vallées embrumées et forêts noires, ruines gothiques et nature inviolée… Toute la mélancolie du siècle s’exprime comme en sourdine, au moyen d’une palette volontairement limitée. Bien souvent l’artiste, ou le spectateur, est évoqué au premier plan, par un personnage anonyme, nous tournant le dos pour contempler une nature impressionnante, voire écrasante. La contemplation de la nature mène à un recueillement qui fait comprendre que « tu n’es rien. Dieu est Tout ».

Crépuscule, vers 1835

En réaction au rationalisme des Lumières, le courant romantique prône ainsi un mysticisme à tendance panthéiste, qui voit dans la nature une manifestation aussi éloquente que silencieuse de la présence de Dieu. En admirant l'œuvre de Friedrich, on sent qu’il a fait sienne cette pensée de son contemporain Hölderlin : « Tout mon être se tait pour écouter les tendres vagues de l'air jouer autour de mon corps. Perdu dans le bleu immense, souvent je lève les yeux vers l'Ether ou je les abaisse sur la mer sacrée, et il me semble qu'un esprit fraternel m'ouvre les bras, que la souffrance de la solitude se dissout dans la vie divine ».

Paysage du Riesengebirge, 1810

Les tableaux de Friedrich sont généralement symboliques. Selon le peintre lui-même, les montagnes sont des allégories de la foi, les rayons du soleil couchant symbolisent la fin du monde pré-chrétien, et les sapins représentent l'espoir. Les tonalités souvent froides, l'exposition claire et les contours contrastés mettent en relief l'aspect mélancolique, les sentiments de solitude et d'impuissance de l'homme face aux forces de la nature, manifestation de la grandeur de Dieu.

Croix dans les montagnes, 1808

Le tableau le plus célèbre de Friedrich est sans doute « Le voyageur contemplant une mer de nuages » (peint en 1818, conservé à Hambourg).
Le personnage est tourné vers une haute montagne apparaissant dans le lointain : elle représente Dieu. Les rochers enveloppés de nuages symbolisent les souffrances de la vie. Pour rejoindre Dieu, l'homme doit traverser cette étendue qui ressemble à une mer hérissée de récifs dangereux. De cette manière, Friedrich met en évidence la condition humaine, qui est à la recherche de Dieu et qui doit connaître différentes épreuves avant de l'atteindre. Pour lui, la rencontre de Dieu est une quête perpétuelle et doit être méritée.



Le Séminaire Saint-Pierre n’a certes pas pour objectif de former des romantiques… Mais un prêtre cultivé doit pouvoir apprécier un essai de Goethe ou un poème de Novalis, tout en contemplant un paysage de Friedrich, accompagné d’une sonate de Schubert. Tout ce qui est beau est catholique !